Nora Moretti est la dessinatrice des séries Princesse Sara, éditée chez Soleil, et Le jardin des Fées, publiée par Drakoo. Elle est aussi autrice de l’affiche du 16ème festival Roch’fort en Bulles.
Bonjour Nora ! Nous sommes heureux de te retrouver une nouvelle fois à Roch’fort en Bulles.
NORA : C’est moi qui vous remercie pour l’honneur que vous m’avez fait en me nommant marraine du festival. J’en suis très flattée !
Cette année, c’est toi qui a réalisé l’affiche. Peux-tu nous expliquer ton processus créatif au moment de la conception et de la mise en couleurs ?
N : Emmanuel Rottaro, l’organisateur du festival, m’a donné carte blanche pour le thème de cette année : contes, mythes et légendes. Il va sans dire que j’aime beaucoup ! Comme vous pouvez le constater, j’ai pensé à inclure la princesse Sara en version sirène, la reine des fées, Marigold, de Le Jardin des Fées, et un dragon ailé : un mélange de créatures que j’aime beaucoup. L’élément architectural est la porte du soleil, que j’ai placé dans la mer pour rappeler la relation profonde de Rochefort avec la mer, mais aussi le mythe de l’Atlantide.
Le thème de notre festival, cette année, est « contes, mythes et légendes ». Aurais-tu une lecture à nous conseiller sur cette thématique ? Un film ?
N : Question difficile, compte tenu de la quantité infinie de livres et de films sur le sujet, mais je vais essayer ! En ce qui concerne les livres, parmi mes préférés, figurent Jonathan Strange & Mr Norrell, de Susanna Clarke (un récit magique des guerres anglo-napoléoniennes, historiquement très précis et écrit avec le typique humour anglais), ainsi que Circé, et Le Chant de Achille, de Madeline Miller, deux retelling mythologiques vraiment bien écrits et passionnants.
Pour les films, côté fantasy classique, pendant que je travaille, j’écoute souvent la trilogie du Seigneur des Anneaux (obligée !), et je conseille toujours aux amis français, le romantique Ladyhawke (qui est un film culte en Italie, mais apparemment moins connu en France). En animation, et restant dans le thème du festival, je suggère les films de Michel Ocelot. Mes préférés sont Kirikou et la sorcière , et Princes et princesses, qui traversent les légendes de diverses cultures. Et un de mes films préférés du Studio Ghibli, le chef d’œuvre Princesse Mononoke, qui n’a pas besoin de présentation.
Ce sera ta troisième participation à notre festival. Quels souvenirs gardes-tu de tes précédentes venues ?
N : Le festival s’est toujours magnifiquement passé. L’équipe est adorable et, avec mes collègues, nous avons toujours beaucoup dédicacé, vraiment ! Je suis très heureuse d’y revenir cette année aussi et je le recommande aux collègues qui n’ont pas encore participé.
Princesse Sara est une série jeunesse, adaptée d’un roman de Frances HODGSON BURNETT, La petite princesse. Le jardin des Fées est une série jeunesse fantasy. Pour ces séries, tu travailles avec Audrey ALWETT au scénario. Peux-tu nous parler de votre façon de travailler ?
N : Dès qu’on s’est connues, et qu’on a commencé à travailler ensemble, la complicité avec Audrey a été immédiate, et c’est très agréable de travailler avec elle. On partage plusieurs intérêts : l’histoire, le fantastique, la littérature, etc., et cela crée une très bonne alchimie créative, chose qui n’arrive pas toujours. Elle s’occupe d’abord d’écrire le synopsis et ensuite les pages de scénario, qui me sont nécessaires pour développer le storyboard. On fait un minutieux check ensemble, on corrige au besoin, et je procède avec les crayonnés définitifs, qui ensuite passeront dans les doigts de fée de nos coloristes.
Qu’apprécies-tu dans ces deux séries ?
N : Princesse Sara contient un petit morceau de notre enfance, pour Audrey et moi, qui suivions l’adaptation japonaise en dessin animé dans les années 80 (en France, je crois que c’était diffusé par le Club Dorothée ?) et aimions le roman original. C’était incroyable pour moi de n’avoir pas seulement eu l’occasion de l’adapter en BD, mais aussi d’imaginer une suite ! Dans cette histoire, j’adore la force d’âme et le pouvoir de l’imagination de Sara, qui l’aident à affronter les difficultés : un message très intemporel et important à tout âge, aujourd’hui aussi.
Le Jardin des Fées, qui s’inspire en partie du roman Le Jardin Secret (un autre roman de Frances H. Burnett, la même auteure que La Petite Princesse, le roman sur lequel est basé Princesse Sara), est un projet que nous menons et qui nous est très cher. À travers l’amitié entre une fée et une jeune fille, nous voulons aborder les questions de la diversité, de l’inclusion, du besoin fondamental de la magie et du merveilleux dans nos vies. Ces questions ont plus que jamais d’actualité dans cette époque un peu trop dominée par le numérique, et qui pourtant risque d’anéantir l’imagination authentique des gens.
Comment caractériserais-tu ton travail ?
N : Dessiner de la bande dessinée est un travail qui demande du temps, ténacité et patience. Rien ne garantit que l’œuvre, si vous parvenez à la publier, apportera les résultats souhaités, car cela dépend de nombreux facteurs (le marché, le public, la qualité de la promotion, etc…). En tant qu’enseignante, je vois souvent des étudiants qui sous-estiment cet aspect, et malheureusement aussi des collègues qui ne parviennent pas entièrement à vivre de ce travail. Nous sommes dans une période très difficile et complexe pour la culture en général, compte tenu également de la tendance politique, et ça n’aide pas non plus.
As-tu une préférence pour un aspect de ton travail ?
N : Le moment où je reçois le bouquin sur lequel on a bossé très dur pendant des mois, bien sûr ! ♥ Mais aussi ça : au fil des années, lors de dédicaces pendant les festivals, j’ai rencontré de nombreux lecteurs/ices de tous âges qui m’ont partagé leur avis sur mes bande dessinées, mais aussi des expériences personnelles, à la fois belles et difficiles. Je leur suis très reconnaissante car cela m’a beaucoup enrichie, et m’a donné aussi une perception bien plus profonde de mon travail et de l’impact qu’une « simple » bande dessinée peut avoir dans la vie des gens. Par exemple, Le Jardin des Fées a été publié récemment en Ukraine : penser qu’il va donner quelques heures de répit à des personnes qui vivent dans des conditions épouvantables me motive à toujours faire mieux.
De façon générale, quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut faire de la bande dessinée ?
N : Évaluer sérieusement les avantages et les inconvénients de ce métier très énergivore (rien n’empêche de dessiner comme hobby, en tout cas). La bonne nouvelle, c’est qu’en France on compte de nombreuses et excellentes écoles de formation, en BD et en animation, et plusieurs prestigieuses maisons d’édition auxquelles vous pouvez postuler. Si vous voulez vraiment faire ce métier, donc, ne vous découragez pas !
D’ailleurs, pourquoi fais-tu de la bande dessinée ? Comment as-tu commencé ?
N : J’ai toujours dessiné depuis toute petite, dès que j’ai su tenir un crayon à la main (même sur les murs de la maison, mais heureusement mes parents ont été très compréhensifs !). Notamment ma mère, fille d’un peintre vénitien, qui dessinait aussi pour ses enfants : sirènes, dragons, des portraits… ça a donné envie à mon frère et moi de nous y mettre à fond, alors que notre sœur n’a jamais été très intéressée par le dessin, haha ! On a grandi en lisant des bandes dessinées, des beaux livres de contes illustrés et en regardant une quantité incroyable de dessins animés japonais et Disney. Il était donc naturel pour moi de tout dessiner. Après cela, j’ai entrepris un parcours d’études artistiques et exercé d’autres types de travaux, mais j’ai toujours eu pour objectif de faire du dessin mon métier, si possible.
Sur quel projet es-tu actuellement ?
N : Audrey a commencé le scénario du tome 15 de Princesse Sara, donc je démarre pour ma part le travail de documentation visuelle et de storyboard (qui est ma phase du travail préférée, d’ailleurs !). Ce sera ensuite le tour du quatrième tome de Le Jardin des Fées, qui conclura le deuxième cycle narratif (mais ce ne sera pas le dernier, ne vous inquiétez pas !)
Pour terminer cette interview, y a-t-il une question qu’on ne t’a jamais posée et que tu aurais aimée avoir ? (Si oui : Quelle est la réponse à cette question ?)
N : Euh, bonne question ! En tant que lectrice passionnée, je me demanderais quel est le dernier livre et/ou BD que j’ai lu. À ce jour, concernant les livres la réponse est le roman Yellowface de Rebecca F. Kuang, alors que côté BD je viens de terminer le très divertissant Colossal, scénarisé par mon amie Rutile, et dessiné par Diane Truc. Gros coup de cœur pour les deux !
Merci Nora pour cette interview !